INNERZONE.
« Ombres que nous sommes, nos Rêves peuvent être des plus charmants, cela n'en reste pas moins des Songes.» (extrait du songe d'une nuit d'hiver par Will. Hackspear)


I. Après la naissance.


L'oracle s'éloigna de l'anneau qu'elle parcourait sans cesse.

Son sceptre resta mystérieusement à la verticale sans sa main pour le retenir.

Dans quel univers étions nous débarqués ? Tout ici semblait porter l'empreinte des rêves. Elle avança jusqu'à la périphérie de la rotonde, comme portée par son souffle, sans que l'on puisse voir ses pieds bouger sous sa longue robe mauve. Sa silhouette se plia avec grâce, une main en avant, ses doigts se refermèrent sur une des fleurs de feu vivant. Elle revint avec, au bord de l'orifice et quand la fleur fut au dessus, il y eu un éclat de lumière vive. Un brasier se forma, il fermait désormais la crypte par où nous étions arrivés.


A demi dévêtus, tremblant assis à même le sol, dans ce lieu inconnu, nous regardions celle qui venait de nous interdire le chemin du retour, mais qui nous offrait en même temps une chaleur bienvenue. Fixant ses lèvres, avec l'espoir d'une explication, encore trop choqués, pour poser la moindre question. Hélas, celles-ci semblaient désespérément scellées.


Celui qui avait la peau très sombre avait déjà recouvré ses esprits, il guettait entre les colonnes, cherchant sans doute à déterminer où nous nous trouvions.


Une voix pas très forte se fraya un chemin à travers le silence.


- ...je regardais le ciel d'encre et il y avait le disque de la lune, bienveillante, dans l'obscurité je sentais la terre tout autour de moi, je ne pouvais pas bien marcher, juste m'agripper à des gravas, ramper tant bien que mal. Quand j'ai levé ma tête, la lune était plus proche que jamais, pourtant je ne reconnaissais pas son visage. J'ai tendu mon bras et ma main est passée à travers...


La fille diaphane avait les yeux fermés. C'était curieux en de pareilles circonstances, de l'entendre si calme, lointaine, décrire son arrivée. Moi, je me souvenais surtout du chaos des corps, comme si ce disque de lumière incarnait la promesse de pouvoir respirer. Dehors je m'étais retrouvé nez à nez avec le cabri, j'avais crié et il s'en était fallu de peu pour que je retombe au fond du trou.

Je ne pense pas que c'était sa mère, mais lui semblait penser le contraire, à voir à quelle vitesse, il était parti trouver refuge collé tout contre elle. Le visage si pale de cette fille avait quelque chose qui captivait mon regard, un caractère que je n'avais jamais encore rencontré. Je m'étais assis, examinant les haillons que je portais, pour essayer de ne pas garder mes yeux rivés sur elle.


L'homme à la peau sombre l'interrompit brutalement :


- Holà, c'est bon, fillette, tu es peut-être secouée, mais il serait temps de te reprendre. En plus ça me met sacrément mal à l'aise, les gens qui se mettent à déclamer de la poésie comme ça. Tu ne crois pas qu'il y aurait des choses plus urgentes à faire ?


Elle se tue aussitôt et lui jeta un regard terrible en retour.


Elle se serait peut être mise à pleurer, si une femme, qui n'était plus dans la fleur de l'âge, ne s'était interposée.

- Fais pas attention à lui... t'as pas remarqué ses sabots ?

Les satyres peuvent être adorables, mais d'autres fois, ce sont des connards finis...


- Foi de Peau d'encre, si tu n'étais pas la rombière la mieux conservée que j'ai jamais croisée, tu goûterais de mes sabots ! Alors je ne répondrai pas à l'insulte, je te remercie du compliment et j'espère bien que tu viendras vérifier, qu'il est mérité, sans trop tarder.


- Oui, compte sur moi, en attendant, va donc t'occuper de tes urgences.


Et il s’exécuta ! Apparemment, elle connaissait bien les satyres car elle savait leur parler !


- C'est curieux, j'ai pas vécu mon arrivée exactement comme ça... mais en y repensant, c'était pas si différent : J'étais chargée à bloc, je venais de griller presque toute la fin de ma récolte avant de me retrouver avec vous ici, à patauger dans le noir, au fond de cette crypte. Alors l'effet de transition a été costaud, un peu comme si je venais de me réveiller d'un long coma ou... ça y est, j'y suis, j'ai déjà connu un truc comme ça ! On m'avait invitée dans une tribu à faire une seconde naissance, ils appelaient ça un Temascal.

C'est un truc bouleversant, je suis restée enfermée dans une sorte de grotte avec des vapeurs brûlantes, tandis que le maître de cérémonie m'aidait à réaliser plusieurs étapes symboliques. A la fin je devais naître comme si je sortais du ventre de la terre mère. Tout ça pour symboliser que je n'étais plus sur terre par hasard, mais parce que j'avais choisit de vivre, choisit de naître. Je me rappelle l'effet quand il a dégagé l'ouverture de la sortie et ensuite m'a aspergé d'eau glacée... je ne sais pas comment le décrire mieux, mais, peut-être que vous voyez ce que je veux dire, si vous l'avez ressenti, vous aussi, en sortant de la crypte.


Instinctivement on s'était groupés le plus près possible du feu. Je ne voyais plus le satyre Peau d'encre, je crois qu'il manquait quelqu'un d'autre aussi, peut-être qu'ils étaient sortis explorer les alentour. Je préférais attendre ici pour l'instant. L'oracle avait repris sa lente procession autour du feu. On aurait dit qu'elle ne nous voyait pas, jamais elle ne nous regardait. C'était comme si nous n'étions pas là ou qu'elle était une apparition fantomatique, une trace du passé qui refusait de s'effacer.


Un des hommes que je n'avais pas remarqué rompit le silence songeur qui s'installait :


- Est-ce que quelqu'un saurait ce que nous faisons ici ?


Il s'approcha, il était plutôt court sur pattes et un peu bedonnant.


- Je n'ai rien contre écouter un peu de poésie ou découvrir le dernier rituel mystique en vogue, mais bon...


Il se tourna vers l'oracle et répéta sa question.


- Est-ce que vous pouvez me dire pourquoi on est arrivés ici ?


Elle se retourna comme s'il n'avait pas parlé. Il voulu poser sa main sur son épaule, mais rien ne la retint. C'était vraiment une sorte de fantôme.

La femme de tout à l'heure, qui avait des espèces de grandes nattes ébouriffées, riait à gorge déployée, sa poitrine généreuse accompagnait le mouvement.


- Tu viens juste d'arriver ? Je suis sortie en premier juste avant Peau d'encre. Tu crois quoi, la première chose qu'on a fait ça a été tenter de lui parler. On a essayé plusieurs dialectes, au départ on croyait qu'elle était juste sourde, mais il nous a pas fallu longtemps pour nous rendre compte qu'elle n'était pas sur le même plan de réalité que nous. J'ai déjà eu des hallucinations impressionnantes, pourtant, ça fait quand même son petit effet quand on se rend compte que c'est permanent. Tiens justement quand on parle du satyre...


Effectivement Peau d'Encre venait de rentrer.


- Je viens d'aller en reconnaissance avec Joshua. Je pensais que le clair de lune nous aiderait, mais c'est peine perdue, il y a un brouillard à couper au couteau. A part que ça ressemble à une colline, je n'ai aucune idée d'où on est. Quant au pavillon si c'est pas une sorte de temple, en tout cas ça y ressemble : il y a un symbole sur chacun des huit piliers, une main, un œil, une bouche, une oreille, et d'autres moins ordinaires, une flamme sur un triangle, une sorte de cerveau... et aussi juste sous le toit au niveau de l'entrée il y a un croissant de lune argenté dont les extrémités pointent vers le ciel.


Je demande à tout hasard :
- Vous n'avez pas vu de lumières ?


Peau d'encre me regarde avec des grands yeux. Joshua lui me répond :

- Non, pas plus de traces d'habitations que d'âmes qui vivent. Je suis d'avis qu'on reste là pour la nuit. Ce serait plus rassurant s'il y avait des murs, mais on peut toujours dormir à tour de rôle par sécurité...


- Je suis d'accord pour qu'on dorme chacun son tour, dit l'homme à la bedaine, reste plus qu'à espérer qu'il n'y a pas un grand sacrifice prévu demain matin. J'ai pas froid aux yeux, mais l'oracle a beau ne pas sembler bien méchante, j'ai plutôt l'impression qu'elle a sa part de responsabilité dans nos malheurs et on ne peut pas dire qu'elle soit loquace sur le sujet. Au fait, mon nom, c'est Félippe et toi qui a la peau sombre, c'est quoi ton nom ?

- Moi, si tout le monde m'appelle Peau d'encre, c'est que ce doit être mon nom.


Derrière eux, la femme venait d'allumer une pipe conique avec le feu.

- Trop classe, ça marche...


Elle aspira une énorme bouffée à travers un tissu qu'elle tenait dans sa main.

- Quelqu'un veut fumer avec moi ?

Peau d'encre ne se fit pas prier.


- Tu veux essayer aussi ?
Elle me tendait la pipe, un nuage de fumée épaisse coula vers mes narines.
- Tu vas voir, tu vas dormir comme un ange.

J'étais curieux, mais je n'avais jamais essayé et vu les conditions j'ai secoué la tête en dénégation préférant m'abstenir.

- Tu t'appelles comment ?

- Puck...

Et elle avec le cabri.. c'est ton amie ?

Je rougis sans doute jusqu'en haut des oreilles.

- Je ne sais pas. Enfin, je veux dire, je ne sais pas son nom.

- Je m’appelle Ophélie.

Elle s'est levée pour s'approcher de nous. J'ai été très surpris par son anatomie, au niveau de son giron, ses formes délicates se prolongeaient par le corps vigoureux d'une pouliche. Cependant, il en faudrait plus pour affecter la vibration qui s'éveillait dans mon cœur. Ce n'était qu'un détail comme mes oreilles trop pointues qui attiraient toujours le regard, mais je comprenais mieux pourquoi sa beauté était si singulière.


Enchantée Ophélie, moi c'est Olympe, si tu trouves ça trop prétentieux, tu peux toujours m'appeler Célestine. Est-ce que tu veux essayer ? C'est une herbe très spéciale, c'est pas vraiment une drogue récréative. C'est plus comme une amie qui te souffle des idées, qui répond à tes questions, parfois des que tu n'as même pas posées.


- Non merci... Peut-être plus tard.


Félippe interpella Peau d'encre en montrant la pipe d'Olympe :

- Un truc aussi qu'il faudrait m'expliquer, c'est pourquoi si nous on passe à travers elle,

comment elle, elle a pu attraper une de ces fleurs de feu et allumer un brasier avec ?


- Eh bien... C'est peut-être de la magie. J'ai essayé d'en prendre une tout à l'heure et c'est sacrément résistant en plus de brûler.


Je me suis levé et j'ai laissé Ophélie avec la très sensuelle Olympe, qui m'intimidait beaucoup.

J'avais remarqué que l'ombre de l'Oracle au plafond avait quelque chose d'étrange. Peut être que ce n'était que la fumée qui environnait Olympe qui s'était glissée dans mes narines et me faisait de l'effet, pourtant je voulais vérifier de plus prêt. Quelle ne fut pas ma surprise en regardant avec attention quand je me rendis compte que son ombre contrairement aux nôtres n'était pas déformée, mais reprenait exactement la forme de sa silhouette en modèle réduit. Et elle bougeait sa main comme pour me faire signe, alors que l'Oracle elle, poursuivait sa lente rotation, sans aucun mouvement correspondant ! J'ai dû pousser un cri de surprise, car j'ai senti l'attention du groupe se concentrer sur le point que fixait mon regard.


Ensuite l'ombre de l'oracle a pointé un doigt tendu dans la direction du centre du plafond, où une forme confuse grandissait, alimentée par des formes plus petites. Je finis par distinguer des silhouettes qui rappelaient fortement nos propres silhouettes. Alors l'ombre d'un soleil flamboyant est apparue, si tant est qu'un soleil peut avoir une ombre, elle a dessiné un arc de cercle au dessus de nous, et l'ombre d'une lune a suivi... cela c'est reproduit trois fois, puis le groupe qui nous représentait est disparu, mais d'un coup cette fois. Et il n'y avait plus rien, pas même l'ombre de l'oracle ou ce que j'avais pris pour tel.


II. Immersion dans le temps.


L'atmosphère était étouffante, son corps d'ébène luisait de sueur, à l'expression naissante sur son visage, avant même qu'elle ne parle, j'avais la confirmation qu'elle avait réussi à établir le contact.
Aracaria pris une grande goulée d'air, se détendit un peu et les paupières toujours closes, me dit qu'elle était entrée en contact avec le jeune Puck.


- Est-ce que tu veux que j'applique une nouvelle couche d'onguent ?



Je ne savais pas trop comment réagir, tout avait été si vite. C'était tellement surprenant cette histoire de plongée dans le temps. Quand on m'avait proposé de rejoindre le projet, je pensais à tord que je devrais passer par des tas de tests, des entretiens, une longue préparation, ce genre de choses.


Hier, j'avais reçu un message pop confirmant que mon accord était enregistré et qu'un aux m’emmènerait sur place le lendemain. Ce matin, j'ai pris une douche en vitesse, j'ai mis un vêtement décontracté comme c'était recommandé. Et un aux volant ressemblant vaguement à un toucan est venu me chercher. On a pris l'antigrav pour aller dans les serres de la surface de l'iris. Je n'y avais quasi pas été depuis ma petite enfance, je passe trop de temps dans ma peau. Je me suis laissé guider, traversant les souvenirs. On est arrivé à un petit pavillon dont les parois étaient entièrement couvertes par une surface réfléchissante.

L'aux disparaît à l'intérieur. Surpris je soulève mes lunecrans pour vérifier.

Une porte miroir s'ouvre en coulissant, sur une femme. Elle se retourne pour me faire face, quand elle prend mes mains pour me saluer, son contact est électrique. Elle est fabuleuse, si je n'avais pas une nette préférence pour les hommes, je serais littéralement tombé à ses genoux. Pris dans une volute de sensualité complètement affolante, j'ai du mal à rester dans un cadre professionnel. Je voudrais m’asseoir, ou, trouver n'importe quoi qui me permette de me donner une contenance, mais elle reste là et me parle simplement, les yeux dans les yeux. Face à son intensité et comme il ne sert à rien de fuir, j'adopte d’emblée une attitude de confiance totale, je ne cherche pas à cacher l'effet qu'elle provoque. Ce n'est qu'un des paramètres avec lesquels il va nous falloir composer. Je ne sais pas si c'est elle qui m'a choisit, en tout cas, elle semble très réactive à mes émotions, un plaisir partagé qui n'a pas forcément besoin de déborder... ses lèvres se sont mises en mouvement et... j'ai dû un peu perdre pied, car maintenant elle me propose de m’asseoir. Et répète ce qu'elle vient de dire et qui m'a complètement échappé.


- Tu devras être présent... et prudent. Je veux dire, il faut que ta capacité d'empathie ne perturbe pas la plongée. Tu devras surtout répondre à mes messages et surveiller qu'il n'y ait pas d'anomalies. Et selon l'accès que tu auras, tu pourras même peut-être sonder les émotions des anciens, pour m'aider à les comprendre.

Ce que nous allons faire est crucial. Je ne sais pas ce qu'on t'a dit, mais si nous n'avons pas le droit à l'erreur, c'est parce qu'il y a eu une grave incident durant la première plongée qui peut avoir des conséquences terribles sur notre monde...


- Tu peux préciser ce que tu entends par grave incident ?

- Il y a un groupe d'anciens prisonniers dans l'Innerzone, dont un qui est une sorte de Prométhée et s'il reste captif, on va à la catastrophe...

- Catastrophe ? De quel genre ?

- Juste la disparition du langage...


J'essayais vaguement de me faire une idée d'un monde sans aucun langage... le langage écrit est déjà quasiment disparu depuis les années quarante, les aux ayant pris le relais, mais si c'est la disparition complète du langage, cela veut dire que l'on ne pourrait plus du tout communiquer ! Quelque soit ce dont elle parlait exactement, l'impact émotionnel que cela provoquait chez elle ne laissait aucun doute sur la gravité de la situation.

- Autre chose aussi, la première anachronaute n'a pas pu revenir. C'est pourquoi, cette fois-ci, il y aura un filin de sécurité. Tu seras mon lien avec notre époque. Le plus important ce sera d'être comme un phare quand je devrai remonter et je ne sais pas comment, mais si tu trouves une façon de m'aider plus activement, ce serait encore mieux. Après tout, on a l'air d'être encore plus en phase que je ne le pensais.


Sur le coup, à cause de sa dernière phrase, je n'ai pas pu m’empêcher d'afficher un sourire niais.
- Je comprends mieux, c'est un bon choix de faire appel à un empathe pour garder le contact.

- Une dernière chose encore, il faudra m'appliquer cet onguent à base de morelle noire sur tout le corps. Il fonctionne comme une sorte d’isolant pour que j'ai moins conscience de mon corps.


Je m'attendais à une équipe complète, des installations sophistiquées, un fatras d'appareillages comme dans les films d'avant la synthèse. Au lieu de cela à part quelques capteurs à même sa peau et une poignée de visiobulles qui flottaient autour de nous, il n'y avait nulle technologie sophistiquée. La pièce maîtresse de l’expédition c'était le cerveau d'Aracaria. Et la courroie de transmission, mon don d'empathie, je resterai ici tandis que son esprit remontera dans le temps jusqu'à je ne sais où. C'était un peu dingue.


Plusieurs minutes s'étaient écoulées, quand elle me répondit enfin.

- Pas pour l'instant, l'onguent était surtout nécessaire au départ et si je tiens, j'ai encore plus d'une bonne heure de plongée, attend que je te demande, merci.


C'est pas simple d'être empathe, elle devait sans doute sentir ma confusion.

Je me demande si je lui avais vraiment posé la question pour essayer de masquer à quel point mon désir pour elle devenait incontrôlable... ou simplement parce que j'étais déjà sous son emprise. Et dire que tandis que je ne pensais qu'à badiner, elle tentait peut être ni plus ni moins que de sauver notre monde, en réparant les pots cassés de la première expédition dans le passé.


*

- C'est facile, c'est comme un jeu de pantomime ! S'exclama Puck.

Je leur avais montré un groupe de silhouettes qui les représentaient arrivant dans l'Innerzone et qui disparaissaient après 3 jours pour qu'ils comprennent qu'ils avaient très peu de temps.

- Cela pourrait vouloir dire que l'on va venir nous chercher dans 3 jours, fit remarquer Félippe.

- Tu as une drôle de façon de projeter tes désirs dans tout ce que tu vois, ou il n'y a que pour moi que ça parait évident comme message ?

- Je suis d'accord avec Olympe, si c'était de l'aide, notre groupe ne disparaîtrait pas.

- Pas besoin d'être devin pour comprendre, c'est clair comme de l'eau de roche, soit on trouve presto une façon de se décaniller d'ici, soit on risque d'avoir des histoires sous peu...


Ensuite, j'ai choisi de leur indiquer la route de l’œil, car c'était le symbole qui me paraissait le plus simple à représenter. J'ai projeté le temple du mont de lune, puis j'ai pointé ma main pour montrer le pilier, avec dessus, l’œil agrandit, pour qu'il soit bien visible.


C'était assez difficile de me faire comprendre, car pour que cela fonctionne, je devais projeter mes pensées vers le feu et même si je n'étais pas là physiquement, c'était naturellement plus facile en ayant ma tête tournée dans sa direction. Je ne pouvais donc pas voir leurs réactions pour deviner de quoi ils parlaient, seul l'empathie d'Hart me permettait de percevoir un peu mieux leurs émotions. En théorie j'étais censée l'interroger, alors qu'en réalité je bénéficiais directement de son talent, peut-être que l'intense attraction magnétique qui nous déstabilisait tant y était pour quelque chose... Également mon temps paraissait s'écouler beaucoup plus lentement, ce qui me permettait de mieux élaborer mes projections. Aussi j'avais remarqué que quand Puck regardait mon ombre, je ressentais la même sensation, que quand quelqu'un fixait son regard sur moi dans la vrai vie.


J'ai montré la lune pleine, ensuite j'ai représenté le groupe qui prenait la direction indiquée par le pilier pour se diriger vers la route. Puck était très doué pour comprendre, plusieurs autres paraissaient avoir relativement compris. Le satyre semblait quand même méfiant, peut-être qu'il soupçonnait un piège. Je ne sais pas si les autres avaient repris leurs esprits ou juste pris conscience de son caractère chaotique, en tout cas s'il s'était opposé à ma proposition, ils avaient choisi de passer outre. A moins que ce ne soit l’enthousiasme de Puck tout à sa joie d'avoir trouvé la bonne signification, qui avait convaincu le reste du groupe. Ils descendaient tous en direction de la route de l’œil, seul le satyre semblait décidé à rester dans le temple. Je résistais à l'envie de le représenter partir avec le groupe, car il ne souhaitait manifestement pas partager son autorité et par mauvaise fois pour justifier son refus, il aurait été capable de dire aux autres, que c'était la preuve que je leur tendais un traquenard.

Arrivés en bas du mont, sans encombre autre que de devoir retrouver le cabri qui s'était égaré en poursuivant de curieux papillons indigos lumineux, ils traversèrent la route qui en faisait le tour. Avec l'obscurité, les parois qui la bordaient et se dressaient à la verticale sans que l'on puisse voir leur sommet, étaient encore plus imposantes. Il y avait juste assez de lumière avec l'éclat de lune pour qu'ils puissent distinguer l'ouverture plus sombre où commençait la route. Puck marchait en tête avec la nymphe et l'elfe, juste derrière, il y avait Ophélie et le cabri qui semblait fort heureux de cette promenade nocturne et c'était le grand gnome qui fermait la marche. L'effet de groupe jouait sur leur confiance, cependant ils restaient prudents, chacun devant se demander ce qui les attendaient sur la route de l’œil. La faible visibilité ralentissait leur progression, mais ils avaient déjà franchit une bonne partie de la route, le trajet se déroulait sans incident. Seule Ophélie semblait très fatiguée et se trouvait désormais à l'arrière de la troupe, le cabri essayait de l'encourager sans grand succès et ce qui devait arrivé arriva. Elle ferma ses yeux pour les frotter.


Aussitôt des silhouettes de lumière surgirent du néant devant eux. Elles étaient si brillantes qu'on ne pouvait que reculer devant leur éclat. Le groupe dû faire marche arrière précipitamment et battre en retraite face à ces apparitions incandescentes, qui progressaient dans leur direction en leur barrant le passage. Ce fut une sacrée débandade, la lumière était si forte qu'ils devaient être aveuglés par son empreinte pendant plusieurs dizaines de secondes après.


Ils parvinrent difficilement à retourner au pied du mont de lune, trop épuisés pour commencer la montée. Les créatures de lumières qui les poursuivaient toujours arrivèrent à l'entrée de la route. Fort heureusement, elles disparurent alors comme par enchantement.


*

J'entends un appel régulier, c'est elle qui essaie d'atteindre la surface, mais quelque chose semble aller de travers. Son énergie est vacillante. Difficile de comprendre ce qu'elle dit. Sa voix finit par émerger dans ma conscience.


- Je crois qu'il y a un des personnages qui est en phase.

C'est à dire qu'il est commandé à distance, c'est beaucoup plus efficace que ma méthode d'intervention, mais c'est justement cette technique qui semble avoir provoqué l'incident lors de l'autre expédition. Quand j'ai expliqué qu'ils devaient se dépêcher car ils n'avaient que trois jours pour réussir, même si je ne pouvais pas comprendre, je suis certaine qu'il les a incité à faire le contraire. Est-ce que tu as senti quelque chose ?


- Tout ce que je peux te dire, c'est que je ne peux pas te garantir que tu sois seule en plongée car tes émotions semblent décomposées à travers un cycle. Cela fait comme une sorte d'aurore boréale... C'est peut-être juste dû à la plongée. Est-ce que tu penses que ça pourrait être une autre expédition après nous ou même la première anachronaute ?


Je craignais d'entendre sa réponse, surtout car s'il y en avait plusieurs, potentiellement il pouvait sans doute y en avoir une infinité.


Elle ne m'a pas répondu, elle a juste ajouté qu'elle allait essayer de poursuivre la plongée, mais qu'il fallait que j'applique une nouvelle couche d'onguent. Et que la plus grande surface possible de sa peau soit couverte. Elle précisa avec une sensualité qui semblait une invitation à désobéir de ne pas en profiter.

J'ai décroché sous l'émotion, retour brutal dans la pièce. Les petites visiobulles sont juste au-dessus de nous.

Trop d'inconnues, je ne sais même pas à quelle époque se situe la plongée, j'aime pas ça, je me demande dans quoi je me suis embarqué. Ma vie ces derniers jours me fait penser à un de ces jeux de peau mal ficelé qui se prennent avec des amnésiants.

Je vérifie rapidement que les capteurs n'ont pas bougés, son pouls est lent, sa respiration profonde.
Un parfum d'irréalité flotte dans la pièce et si j'étais juste en train de disjoncter sévère, imaginant parler avec elle ?


Je décide malgré mes doutes de lui appliquer l'onguent de neutralisation. Sous la caresse onctueuse de ma main son corps se met à vibrer, et mon sexe s'éveille en parallèle. Face à cette réaction explicite la certitude de mon homosexualité explose. Un chatoiement jaune vient répondre à l'intensité purpurine de mon désir, c'est comme si sans la formuler de vive voix, elle venait de me délivrer une douce promesse. Cependant, malgré la joie et l'attirance affolante qu'elle exerce sur moi, je préfère attendre un moment plus propice, pour vérifier ma nouvelle bisexualité. Ceci dit ce n'est pas simplement la communion des corps à laquelle j'aspire. Je parviens à m'éloigner de sa douce chaleur et à retourner dans la seconde boucle du tapis en forme de 8 qui nous sert de couche durant la plongée. Alors je réalise la chance que nous avons eu de nous rencontrer, puis je laisse se développer en moi le lotus blanc vivant de la paix intérieure. Pour ensuite faire une gangue mouvante de pétales autour de l'image de son corps. Tandis que le pistil s'allonge démesurément en direction de l'Innerzone jusqu'à rejoindre Aracaria.


III. Accident au cœur du mystère.


Après une pause pour reprendre un peu de forces, nous étions rentrés au temple.
Peau d'encre n'avait pas perdu son temps pendant notre absence, il s'était fabriqué un flambeau et avait réussi à trouver des champignons sur certains des arbres. Quand il a partagé sa récolte et m'en a offert deux je n'ai pas osé lui demander s'il avait essayé d'en manger pour tester. Difficile de savoir s'ils étaient comestibles, ils étaient plutôt durs à mâcher, de toute façon ce n'est pas avec sa maigre récolte que nous allions nous intoxiquer. En tout cas c'était déjà mieux que de s'endormir le ventre vide. J'aurais apprécié qu'il trouve aussi une source d'eau, car la soif commençait à être difficile à supporter. Les qualités de Peau d'encre semblaient un peu contrebalancer ses défauts, quoi qu'il cherchait peut être juste à s'attirer les faveurs d'Olympe...


On lui fit un bref résumé de notre expédition. On avait aucune idée de ce qui avait pu déclencher l'apparition de ces créatures éblouissantes. L'ombre qui était de nouveau visible sur le plafond semblait autant dépitée que nous, au bout d'un moment, elle essaya bien de montrer plusieurs fois nos représentations sur la route et son doigt qui s'agitait vers un œil et ensuite vers nous. Quand elle vit à notre absence de réaction qu'on n'arrivait pas à la comprendre, elle recommença la même chose avec le symbole de la bouche, puis la main et l'oreille... montrant à chaque fois qu'une route différente correspondait... et finit par abandonner.

On décida d'un commun accord de dormir et d'attendre le matin pour tenter une autre expédition. Joshua se proposa pour prendre le premier tour de garde, le mien serait l'avant dernier, ensuite ce serait Ophélie avec le cabri, ce qui nous permettrait de dormir un peu mieux que les adultes.
Peau d'encre et Olympe utilisèrent le flambeau pour se mettre un peu à l'écart à l'extérieur, mais en m'endormant, malgré la fatigue, je fus réveillé plusieurs fois par le bruit de leurs ébats.

*

La main qu'Ophélie passait dans mes cheveux finit par me réveiller, elle était juste au dessus de moi, je sentais son souffle chaud sur mon visage... Je me suis redressé et j'allais la prendre dans mes bras, quand j'ai réalisé terriblement confus que c'était juste Olympe qui me réveillait pour faire mon tour.

L'attente fut longue. L'oracle poursuivait sa lente déambulation autour du feu, ses pieds traversaient ceux qui dormaient. Il n'y avait même pas son ombre pour me distraire. Cependant, le temps que j'essaie de trouver comment j'allais m'y prendre pour réveiller Ophélie, fantasmant sur ses réactions possibles, la lumière du jour grisonnant était déjà là, et plusieurs de mes compagnons d'infortune commençaient à se réveiller.

Malgré la brume, on arrivait à distinguer autour du mont, la sombre couronne formée par les parois. Elles étaient interrompues seulement par endroits, à intervalles réguliers, là où devaient se situer les entrées des routes qui correspondaient à chaque symbole.


Olympe et Peau d'encre furent les derniers à se lever. Après nous avoir rejoint, il lança :
Est-ce que tout le monde est prêt à partir pour la route de la bouche ? J'espère qu'on aura plus de chance qu'hier.


Félippe n'était pas d'accord.
- Et si elle nous prévenait des dangers, genre, attention de ne pas terminer dans les grandes bouches qui vous attendent dans cette direction... Pourquoi on choisirait cette route et pas une autre ?

- Et s'il y avait de la nourriture ? Après tout elle a parlé de cette route juste après qu'on ait mangé.


Une fois encore Peau d'encre ne jugea pas ma remarque digne d'intérêt.

- D'accord, si tu as la pétoche, tu n'as qu'à essayer celle des oreilles avec la marmaille, je vais voir celle de la bouche, et Olympe et Joshua vous pouvez tester la route de la main. Comme ça on dégotera plus vite une solution pour se tirer d'affaire. Cela convient à tout le monde cette fois ?


C'est marrant comme Peau d'encre était volontaire maintenant qu'il pouvait avoir un rôle glorieux.


- Ce serait plus prudent de rester ensemble... mais le temps court contre nous, alors autant ne pas traîner, tu viens Olympe ?


On a accompagné Olympe et Joshua jusqu'en bas du mont de lune et on a pris la direction indiquée par la colonne de l'oreille. Ophélie murmurait en marchant, d'abord ses paroles semblaient insensées, puis à force de les répéter, de les compléter, elles devenaient cohérentes : j'ai dans la tête un rêve / qui jamais ne s'arrête / j'ai de mes lèvres des paroles / qui affleurent / je deviens sa narratrice / je relie ses fragments / autour de moi / la danse des réalités m'invite à jouer / jusqu'à ce que ma vie se confonde avec sa narration / j'ai dans la tête un rêve / qui jamais ne s'arrête / il se nourrit de ma vie / j'ai de mes lèvres la sève...


On venait tout juste de dépasser l'entrée de la route. Félippe qui était venu avec nous, se mit à gueuler :
- Il serait peut-être temps de la fermer ! T'as envie de tout faire foirer ?

Aussitôt, des silhouettes aussi sombres, que celles d'hier étaient brillantes, sont arrivées sur nous en hurlant. C'était impossible de continuer, même les oreilles bouchées leurs cris étaient insupportables et leur force semblait pouvoir augmenter sans aucune limitation. Leurs hurlements stridents étaient si forts qu'on ressentait physiquement leurs impacts dans nos corps. On a rebroussé chemin le plus vite possible.


Quand on a atteint la base du mont, comme pour l'autre route ils ont cessé de nous poursuivre. C'est sans doute une sorte de territoire sacré.

- Qu'est-ce que j'avais dit ? On n'est pas prêt de s'en sortir avec des boulets pareils !

Cette fois ci c'en était trop pour moi.

- Oh ça va, vous étiez pas obligé de lui parler comme ça.


Même le cabri pour la première fois se décida à parler :
- Moi sa poésie je l'aime beaucoup, c'est pas parce que vous ne comprenez pas quelque chose qu'il faut le rejeter.


- Ok les jeunes, débrouillez vous, je rejoins les autres, venez pas vous plaindre s'il vous arrive des embrouilles.


J'ai un peu discuté avec le cabri ensuite, je croyais qu'il ne savait pas parler, en fait c'est juste qu'il ne parlait pas pour ne rien dire. Quand je lui ai demandé son nom il a juste fait non de la tête, cela avait l'air de l’embarrasser, je ne sais pas pourquoi. Il avait une façon bien à lui de voir les choses, il prenait tout simplement, sans en faire des tonnes ou s'inquiéter plus que de nécessaire. Je l'aimais bien.


Ophélie ne disait plus rien, on a essayé de lui remonter le moral en faisant un peu d'humour, mais peine perdue. Je n'ai pas insisté, j'ai essayé de prendre un ton convaincant pour demander :

- Bon, alors, vous êtes prêt ? On essaie encore de traverser, mais cette fois-ci, on fait vraiment attention de faire le moins de bruit possible.


- Je préfère rejoindre l'autre groupe, c'est pas très prudent sans au moins un des adultes.


J'aurais voulu ne pas réagir avec orgueil, mais c'était comme si pour elle j'étais un incapable :

- Retournez au temple tous les deux, je reste un peu.


Ils s'éloignèrent sans rien dire, guère plus heureux que moi, tout ça à cause de ce maudit Félippe qui avait transformé notre joyeuse expédition en fiasco.


*


- Pourquoi tu t'arrêtes Oriane ?

- Je n'y suis pour rien, c'est comme s'il y avait quelque chose d'autre qui intervenait pour l'influencer.

- T'inquiète, ce doit être un simple effet de dédoublement, quand tu te calques sur une forme de vie, il y a un peu de ta propre identité qui transpire et cela peut créer des variations.

- Attends Lien, c'est pas mon premier piratage ! Tu crois que je ne suis pas capable de déterminer s'il y a ou non une influence extérieure ? Je suis certaine que nous avons été repéré, mais que la machine ne nous a pas neutralisés volontairement. Elle veut sûrement découvrir comment nous allons procéder pour créer une faille dans son contrôle.
- Quelque part ça me rassure je croyais que c'était parce qu'on avait la poisse qu'il y avait une galère

à chaque fois que les personnages devaient prendre une des routes.

- Très drôle, il y a autre chose, j'ai essayé de me déconnecter et il y a une partie de mes données qui reste mobilisées. Il y a de fortes chances que j'ai déjà été attrapée et qu'elle me laisse juste assez de marge de manœuvre pour nous faire tester tous les modèles de scénarios possibles. Histoire d'avoir l'antidote parfait pour que plus personne ne puisse s'évader hors du jeu.


*

Les enfants sont arrivés peu après ce pleutre de Félippe. On leur a raconté comment avec Joshua on avait été bloqués presque dès le départ par les mains d'une foule compacte de créatures roses. Enfin c'était difficile à décrire, cela faisait plus comme une sorte de mur moitié liquide moitié animal qui s'était abattu sur nous, le genre de truc aussi insistant qu'un chaton qui veut se coller contre vous la nuit. Passée la première impression c'est plutôt rigolo et inoffensif. Sauf que quand on a essayé de se frayer un passage, on a été repoussés avec autant d'intensité. Après plusieurs tentatives on a été contraints d'abandonner. En conclusion Joshua fit remarquer qu'on aurait mieux fait de se trouver de quoi se bander les yeux et de réessayer la route de l’œil.

L’inquiétude se lisait sur nos visages. L'après midi touchait à sa fin quand Peau d'encre finit par rentrer. Il tirait une mine renfrognée et il ne voulu pas dire ce qui c'était passé. Nous avions tous échoués. La fin du second jour approchait et nous ne savions toujours pas où nous étions. Un mont entouré par une route circulaire d'où partaient huit routes sans doute toutes impraticables et bordées par les parois de falaises infranchissables, dont nous ne voyons même pas le sommet tellement le brouillard restait dense même en journée. Le seul point positif était que l'on pouvait désormais se désaltérer, depuis que le cabri avait trouvé une cavité avec un peu d'eau fraîche sur un des flancs du mont.

On s'était réuni autour du feu. L'oracle semblait ne jamais cesser sa lente rotation, aussi fidèle qu'une planète autour d'une étoile. L'ombre essayait encore de se faire comprendre, la bouche qu'elle montrait était désormais animée. Hélas ça ne nous parlais pas plus, la nuit était tombée et Puck ne revenait toujours pas. Ophélie paraissait plus triste que jamais.


Je fis remarquer à mon godelureau :
- On devrait partir à la recherche de Puck.

- Bah, il vaut mieux se reposer et attendre demain matin, qu'il soit arrivé quelque chose au morveux ou qu'il ait réussi à traverser, on pourra rien faire de plus pour l'instant.


Tu parles, sûr qu'il risquait pas d'être motivé, il était déjà bien trop occupé à me lutiner.


*

J'avais guetté leurs silhouettes disparaître au loin en direction du mont de lune. Plusieurs fois j'avais failli rebrousser chemin, surtout que plus je m'enfonçais dans la route plus il faisait sombre. Le début du trajet s'était passé sans souci, je n'avais rencontré aucun des hurleurs de l'autre jour. J'aurais dû être heureux de réussir, mais plus j'avançais plus j'étais inquiet, que se passerait-il s'ils apparaissaient et m'entouraient ? Et si j'arrivais à traverser mais ne pouvais plus rejoindre Ophélie et les autres ? En y repensant, peut-être que la solution était d'une simplicité enfantine, tout seul je faisais beaucoup moins de bruit. Du coup je me retenais de fredonner une mélodie rassurante. Je me sentais aussi rassuré qu'un funambule sur son fil avec un bandeau sur les yeux. J'hésitais à faire marche arrière pour prévenir les autres, mais l'entrée de la route n'était plus visible depuis longtemps, il fallait mieux continuer.

Les hautes parois de chaque coté ne semblaient jamais s'arrêter comme si la route serpentait au fond d'un ravin. Cela faisait sans doute plusieurs heures que je marchais. La lumière avait beaucoup faiblit. Je finis par arriver à ce qui semblait une impasse, heureusement c'était juste que la route se scindait et se poursuivait à angle droit sur les deux cotés. J'hésitais un peu, puis je choisis de prendre celui de gauche, en me disant que s'il y avait une autre bifurcation je prendrais à droite, de sorte à garder toujours la direction d'origine de la route. C'était un bon choix, car il y en eut plusieurs ensuite.


J'étais épuisé, néanmoins je préférais ne pas m’arrêter, cela faisait si longtemps que je marchais, j'allais bien finir par arriver quelque part. Enfin, si j'avais réussi à garder le cap. J'ai réalisé que j'aurais du essayer de me souvenir des changements, car désormais, si je voulais faire demi tour, cela serait bien difficile. J'ai poursuivi la route marchant mécaniquement comme un somnambule. Enfin un peu de lumière attira mon regard, je relevais la tête, je pouvais apercevoir l'extrémité de la route.


J'étais presque certain que c'était déjà le matin, mon voyage avait dû durer beaucoup plus longtemps que je ne le pensais. Il y avait un peu moins de brouillard que de l'autre coté, mais cela ne semblait pas très différent. Malgré la fatigue, je décidais de ne pas prendre la route qui longeait le contrefort, pour continuer tout droit. J'entreprenais la montée avec une angoisse grandissante. C'est alors que j’aperçus un temple, en tous points identique à celui d'où j'étais parti. A l'intérieur, il y avait le même feu, l'oracle, et des visages familiers...

Une idée un peu folle me traversa l'esprit, j'étais peut-être mort pendant le trajet ou j'avais quitté mon monde d'origine pour rejoindre un autre monde presque identique, comme cette légende des gens qui traversent les miroirs... Je chassais rapidement cette idée hors de ma tête. J'avais dû tourner en rond, cela ne pouvait être que cela. Au moins, je savais comment traverser la route sans encombre et si on y retournait à plusieurs on finirait bien par trouver le bon chemin.


C'est les gémissements du cabri qui m'ont alerté. Il poussait sa tête dans les bras d'Ophélie.

Son pelage était tout maculé de sang, j'ai d'abord cru qu'il était blessé, mais c'est elle qui avait du sang qui giclait de ses poignets. Je suis resté un instant interdit sous le choc. Elle palissait à vue d’œil. Olympe a réagi plus vite que moi.


*


Puck la soutenait dans ses bras, bouleversé, il voulait la sauver, mais le sang ne s'arrêtait pas de couler, comme les larmes de leurs yeux, tous deux noyés maintenant. Sans réfléchir j'ai pris ses mains et les ai mises sur les poignets d'Ophélie pour bloquer le flux, le temps que j'arrache du bas de ma robe de quoi faire des compresses de fortune. Elle hoquetait et entre les sanglots laissa échapper :

- une solution permanente... à un problème momentané... mon œil... pourquoi… pour moi le problème d'être exclue... n'a rien de momentané… pourquoi... tout le monde me rejette... parce que je suis une centaure… parce que je dis trop de poésie... pourquoi… toujours... me contrôler ?

Après avoir noué une première compresse à chaque poignet, j'ai pris un peu plus de temps pour bien ajuster deux autres grands lambeaux de tissu. Maintenant elle était en état de choc, ses yeux semblaient déjà ailleurs. Un instant j'ai même envisagé être encore endormie en plein cauchemar, je n'avais rien vu venir. Puck était parti dans un laïus impressionnant :
- Quelle connerie de croire que l'on puisse parler de suicide autrement qu'au cas par cas. Chaque désespéré est différent, même si souvent quand on prend cette trajectoire on suit une configuration de plusieurs problèmes, il n'y a pas "le" suicide, mais autant de suicides différents que de suicidés. Face à l'exclusion, une des solutions c'est d'apprendre à se connaître... pour ne plus être à la merci des jugements, c'est choisir de vivre, conscients que nos différences sont les ressources qui rendront la vie meilleure.
Puck parlait avec une sagesse qui contrastait avec son jeune âge, mot après mot, comme les lattes de bois d'une échelle, il essayait de la ramener de l'abîme.


- J'espère qu'il n'est pas trop tard, tu n'as peut-être pas perdu trop de sang, mais il faut avant tout que tu reprennes goût à la vie, c'est pas parce qu’il y a toujours ce genre d'individus intolérants qu'il faut désespérer, je te comprends et je suis sure que je ne suis pas la seule, Ophélie.

Puck reprit :
- Il n'y a pas une solution, il faut juste que tu comprennes pourquoi tu souffres et trouves comment retirer la dague qui torture ton cœur ou le masque qui te fait étouffer, la chaîne qui t'entrave ou je ne sais quoi d'autre... pas de remède miracle, cas par cas, parles-en avec moi, parles-en avec nous si tu en as besoin. Cette réponse, il n'y a que toi qui peut la trouver. Mais si tu manques de confiance on peut t'aider à dresser une liste non exhaustive de tes qualités, si tu te sens exclue on peut t'expliquer le mécanisme de la peur qui engendre l'exclusion comme protection, si tu es opprimée on peut se serrer les coudes et ne rien leur lâcher, si la compétition te tue, ne rentre pas dans leur jeu, trouve l'harmonie...


La voix de Puck devenait lointaine, c'était comme si plusieurs personnes parlaient à travers lui et ce devait être ça, je n'avais jamais vu un gamin avec une telle connaissance de la vie.

- Peut-être que tu veux mourir et c'est ton droit, la vie n'a pas de sens si l'on a pas le droit de mourir.

Mais donne toi le temps de réfléchir, vérifie que ce soit vraiment ton choix, que cela ne te soit pas imposé. L'exclusion et l'exécution sont les méthodes immunitaires de prédilection des organismes à la con : famille, école, entreprise, église, état ou tout autre système hiérarchique et dogmatique. Les bourreaux étant n'importe lequel de leurs membres conditionnés par la peur de la non-conformité.

Le sens de certains mots m'échappait complètement, mais on sentait que ça venait du fond du cœur, c'est la seule chose qui importait, car là où elle était de toute façon elle ne devait pas pouvoir comprendre grand chose. Son visage, dans ses cheveux de geai en bataille, plus livide que jamais, restait inerte, ses yeux grands ouverts étaient absents.



IV. Emergence hors de l'Innerzone.


- Je préfère que tu sois au courant, de toute façon tu as dû le sentir. J'ai eu un problème. J'ai essayé de prendre le contrôle d'Ophélie, je ne sais pas si elle m'a décelée, mais elle a essayé de se suicider. Tu avais sans doute deviné que franchir les routes n'était pas si important en soi, la solution était d'amener Puck à aller de lui même dans le feu. À repasser si souvent la séquence pour que malgré l'instinct de survie il puisse le faire sans hésitation. J'aurais dû savoir que ce serait impossible autrement. Je dois parler directement à Puck en espérant qu'en phase je parvienne à utiliser leur langage. Je ne peux pas remonter, c'est la seule solution, nous n'avons plus le temps, je n'ai plus le choix. Espérons qu'il soit prêt et qu'au moment décisif il me suivra sans hésiter. Quoi qu'il arrive.


*


A l'instant où j'ai réalisé qu'elle avait essayé d'entrer en phase avec Ophélie et qu'elle allait recommencer, j'ai compris le sens de ses derniers mots, elle tentait le tout pour le tout, les enjeux étaient trop importants, pour ne pas payer d'avance ce sacrifice nécessaire, je venais de découvrir la femme de ma vie et je ne la reverrai sans doute jamais plus. Je comprenais son geste mais... Je n'en souffrais pas moins et je n'osais même pas imaginer la souffrance que cela devait être pour elle qui prenait cette décision.


- Ne m'en veut pas pour notre histoire qui n'aura pas pu exister, sinon à la frontière des possibles, de toute façon c'était quelque chose de si bon, que cela ne pouvait en être autrement.

De retour dans la pièce, je regardais son corps qui semblait irradier de lumière, si belle dans l'abandon le plus total, ce corps qu'elle avait habité où elle n'était déjà peut-être plus qu'un souvenir, je n'osais reprendre le contact, sans le masque commode du langage pour me taire, j'avais trop peur que la douleur ne fasse que lui rendre sa tâche plus difficile. Je ne sais même pas si ma simple présence en la déconcentrant ou la retardant ne risquerait pas déjà de tout faire échouer. Alors je restais là, avec mes putains de poings tremblants de ne pas avoir des ongles assez durs pour traverser ma chaire, à mordre ma lèvre inférieure jusqu'au sang, chialant toutes les larmes de mon âme, tout en essayant de ne pas faire trop de bruit. Je ne pouvais plus rien faire, si seulement j'étais capable de la rejoindre, partager sa douce intimité une dernière fois. J'ai repris mon contrôle respiratoire, pour calmer mes émotions, respirer, expulser mes sensations, anesthésier ma conscience du futur où elle ne serait plus là. Me transformer en une seule volonté, tendue vers elle, pour lui apporter tout mon être, pour la soutenir, pour lui donner les ailes, que seul donne l'amour le plus sincère, celui qui résiste au filtre de la raison.


Alors je me suis senti comme aspiré par la conscience de Puck. J'entendais Aracaria qui me parlait sans trop savoir si c'était elle qui s'adressait à moi ou Ophélie s'adressant à Puck...

*


Ophélie reprenait des couleurs, mais son regard était traversé par une lueur étrange. Sa voix n'était plus celle d'une enfant à l'agonie, c'était une voix qui n'avait rien d'une centauresse.


- Je suis touchée en profondeur, chaque preuve de ton amour est une plaie qui s'ouvre en moi, tu es mon tourment et ma félicité, je ne peux pas te dire ce qui me brûle les lèvres, je passe mon temps à t'aider à oublier, mais c'est comme une spirale, qui nous ramène toujours autour du même instant.

Et plus nous essayons de nous en éloigner, plus tout semble prêt à se désintégrer. Tu m'offriras toujours tout ce que je t'ai volé, je ne pourrai jamais me résoudre à te laisser. Nous sommes condamnés, nous sommes les ailes du papillon. Nous sommes des âmes sœurs. Et notre histoire ne peut se finir sans entraîner le monde avec elle. Je douterai toujours de qui je suis et de qui tu es, je crois que plus nous avançons sur le chemin, plus nous sommes multiples et uniques à la fois. Ce qui se produit ne peut être traduit en mot. Quand tu m'embrasses je sais que nous partageons cette connaissance. Et joignant le geste à la parole, elle déposa sur mes lèvres un baiser. Et c'était comme le premier baiser partagé dans cet univers. Un simple baiser spontané, la plus puissante marque de reconnaissance qu'un être puisse porter à un autre, le monde peut être une prison, je serai toujours ton issue, une porte ouverte par où t'évader.


*


- On a un créneau, sauf que si ce que tu penses est vrai, qu'il y a réellement plusieurs univers qui interviennent en même temps, si nous le libérons, cela sauvera notre monde, mais détruira au moins un autre monde en même temps.


- Dans tous les cas, si le réel fonctionne vraiment ainsi, quoi que l'on fasse, cela se produira.


- Il y a un hic. Et si leur univers n'était pas un univers parmi les autres, mais le multivers qui contient tous les autres ? Que se passerait-il si en sauvant notre univers, on détruisait ce multivers, est ce que notre univers ne disparaîtrait pas aussi ?

- Alors qu'est-ce que tu proposes, on laisse disparaître notre univers ? J'essaie de retourner à la surface ?


*

J'avais la curieuse impression que ce qu'ils faisaient au lieu d'affecter leur futur avait un impact sur le passé des personnages, mais c'était impossible...
C'est comme si le réel était une sorte d’équilibrage entre passé et futur...
Peut être qu'il y a un axe des dimensions, un axe du temps et un axe de l'espace qui ne sont qu'un seul et même axe. Je n'arrivais plus à rester concentré. Peut-être que toute modification du passé est vaine. Rien ne change, seul nous nous déplaçons au travers des possibles.


En même temps, ils s'étaient rendus compte, que c'était comme une explosion inversée, les personnages étaient des projections de leurs différentes facettes et les avaient rejoints. Ils en venaient même à douter que la réalité d'où ils venaient ait simplement existé. Ils pleuraient enlacés, pourtant c'était peut-être des larmes de joie. Ils s'étaient trouvés et maintenant qu'ils connaissaient le secret des 8 routes, qu'ils connaissaient la route cachée sur le mont de lune, ils n'avaient plus besoin de chercher au delà, ils pouvaient vivre ici et profiter du bonheur simple d'être ensemble.

*

Je suis peut-être ta prison, mais pour toi j'ouvrirai toutes mes portes, nos lèvres se décollèrent doucement.

Ophélie se mit à rire, d'un rire qui glaçait le sang, comme si elle était devenue folle.

- Mon pauvre... tu n'as pas encore compris... rien de cela n'existe. Cela ne t'a pas paru étrange que personne n'ait conservé de souvenirs du passé autres que son nom ? Je n'étais qu'un jeu pour te divertir... mais tu ne comprends toujours pas... je ne suis que ton imagination... moi aussi je vais disparaître... Tu ne comprendras donc jamais ? Il n'y a rien dans ce monde... ou plutôt, tu parcours le temps dans le mauvais sens... enfin même si je pouvais l'expliquer plus clairement... ce n'est pas un chemin, juste une boucle, un court-circuit vers le passé, tu ne peux pas reculer, plus qu'avancer. Il va te falloir passer par le chemin de la naissance. Et cette fois-ci, essaie de ne pas te souvenir.


*

A ce moment précis, malgré tous mes efforts pour donner à la narration l'apparence d'une simple histoire, je ne pouvais empêcher que le décor éclate. A quoi bon raconter la fin, de toute évidence Puck se retrouverait seul sur le mont de lune et il rentrerait dans le feu pour naître à nouveau...

Ce n’était qu'une question de temps pour qu'il constate que tout dans l'Innerzone n'était qu'illusion.

(Le jour où je relirai ces lignes pour les traduire en anglais, et qu'elles se mélangeront de nouveau à la voix de Nick Cave clamant "reset" dans « the secret life of the love song », cette fois-là je comprendrai, vraiment.)

La narration ne s'adressait pas au public, tandis qu'Edward Ka Spell chantait "Jack is dead" comme un mantra, j'essayais juste de réaliser qu'aucun doute n'était possible, la question de savoir où j'étais, de savoir qui j'étais, n'aurait jamais de sens. Comme l'avait écrit le collectif derrière l'anarrateur de la révolution des mains, c'est jusqu'où, jusqu'à quand... je m'interdirai tout espoir, condamné à l'illusion, par amour pour elle. A chaque épisode c'était un peu plus difficile d'oublier. Peu importe quel nom donner à ce lieu, l'essence même est que je suis prisonnier, je ne peux le cacher à ma conscience, toute la liberté dont je peux rêver ne peut rien y changer, même si il y a des réalités à n'en plus finir, il y en aura toujours une où je suis sans aucun doute possible mort.


Je peux vivre des dizaines d'années de plus, ce ne sera que reculer avant de sauter, à quoi bon si tout n'est qu'illusion. Je ne suis pas seul, je suis avec elle et elle malgré tout son amour pour moi sait bien qu'il faudrait, faudra, faut que je parte. Manier la narration comme un flux générateur de réalités cela semble merveilleux. Avoir tout ce dont on peut rêver, sauf la clef pour refermer la boîte de Pandore. Je préférerais être un simple écrivain un rien trop illuminé. Reculer pour mieux sauter.

A ce moment précis, je n'avais plus besoin de tourner en rond, je n'avais pas besoin, étape après étape, de reprendre le cycle, pas besoin de m'agiter encore comme une langue dans l'encre noire, déjà séché, déjà poussière, j'étais prêt à traverser le feu.
S'il n'y avait pas de public pour cette allégorie, autant écrire le plus vite possible le mot FIN.


Un regard au bouton d’éjection, voyant lumineux du "power" de l'ordinateur, besoin de feu ? Où sont donc les fleurs de feu ? La machine qui repassait en boucle les paroles de « Working with the popular forces » de l'album Break through in grey room, dont aucunes ne semblaient usées d'avoir été dites tant de fois, essayaient de me souffler la réponse. Quand aurait-il fallut écrire FIN la première fois ?

J'étais sur le point de mettre un terme à ce monde, quand quelque part au fond de l'Innerzone j'ai vu Puck et Ophélie et tous les autres, ils étaient encore là, c'est moi qui les avait perdus. Ils me regardaient terrifiés, c'est là que j'ai compris que ce qu'ils craignaient le plus, ce mystérieux adversaire, qui les gardait captifs comme dans un zoo, c'était moi.


Et s'ils voulaient que leur monde ne disparaisse pas, il fallait qu'ils m’empêchent de disparaître.

Qu'ils essaient de soigner ma folie. Ha, ha, ha. Les paroles du morceau « System Administrator » de Cultural Amnesia que jouait le lecteur de l'ordinateur en mode aléatoire conseillaient non sans humour de "re-formater". Je creusais mon trou encore une fois, me taire, faire silence, pour les laisser vivre en paix.


A quoi bon, ils ne pourront jamais quitter l'Innerzone. S'ils n'avaient connu que cela, ils s'en accommoderaient, mais j'ai commis l'imprudence d'entrouvrir la porte...
Presser les touches un peu plus souvent que la flèche de suppression ou l'inverse ?
Souvenirs, rêves, réalités toutes ces choses ne sont jamais identiques à l'intérieur et à l'extérieur. La folie, c'est un langage parasité, qui inclut un certain nombre d’éléments erronés, qui rendent impossible de distinguer les éléments cohérents. A force de creuser j'ai atteint la surface. Je préfère ne pas l'écrire, j'ai retrouvé une des révélations, une des perles du chapelet qui quand on le poursuit fait éclater l'illusion. Qui fait qu'il n'y a pas plus de sens à poursuivre l'écriture de l'histoire que de couvrir les murs d'une prison, sauf si c'est pour repasser les mêmes lignes jusqu'à creuser une issue.


La liste de lecture poursuit son parasitage de la narration avec « K9 was in combat with the alien Mind-screens » et toujours le Docteur Benway aux commandes. Je sais qui elle est, je sais ce qu'est la damnation, pourquoi vivre ici pour moi est pire que la mort. Destruction, autodestruction, arracher une à une les touches du clavier et les regarder se changer en pièces d’échiquier, cette fois-ci, j'avais presque oublié, presque... et j'arrive à ne plus enregistrer, à regarder de loin sans aller complètement à l'intérieur de cette connaissance. Dans les hauts parleurs les cris d'enfants sur une chanson des Virgin Prunes se calment un instant, laissant la basse dessiner des points d'interrogations. Puis ils reprennent par intermittence. Je n'ai plus la force d'écrire, si ma vie n'est pas qu'une illusion, je voudrais rester prostré jusqu'à ce que mort s'en suive. Attendre en vain le dernier coup de clou du spectacle et les applaudissements qui éclatent.


Il n'y pas de fin au tourment de la catharsis. Tant que je serai là, cette histoire reprendra sous d'autres formes, plus ou moins déguisée. Que la nuit ait recouverte la terre ou que je sois possédé, à part si c'est pour creuser votre issue, il n'y a rien de bon à gagner à suivre les chemins que j'ai emprunté. Je n'ai pas la force de refermer la porte. Si ce monde est réel ne me lisez pas. Oubliez moi.


Morne, [10/11/2012. Montréal.]



Lexique de l'Innerzone.

ANACHRONAUTE : Personne douée de la faculté de se déplacer hors du temps.

ANARRATEUR : Personnage clef de la Révolution des Mains.


ANTIGRAV : Ascenseur antigravitationnel desservant les niveaux des Iris.

AUX : (contraction d'Auxiliaires) Créatures Informatives Virtuelles Intelligentes et Sensibles qui assistent les humains.

CANALISATION (Chanelling) = technique de communication à distance via un médium, exemple le livre rouge a été ecrit par CG Jung grâce à cet technique.

EMPATHE : Personne douée de la faculté de ressentir les émotions à distance.

IRIS : Cité circulaire souterraine construite autour d'un antigrav.

LUNECRANS : Dispositif de visualisation pour les zones non couvertes par les visiobulles ou pour le mode solo.

MULTIVERS : Méta Univers constitué de mondes parallèles, découvert en 1950 par les travaux d'Hugh Everett sur la physique quantique, mais déjà descellé en 1884 par Edwin Abbot. C'est un des principaux sujets du roman l'Infini par Morne.

MESSAGE POP : Notification virtuelle rudimentaire pré aux encore utilisée pour les alertes, les messages administratifs ou à caractère officiel.


MONOPTEROS : pavillon circulaire ouvert, le toit étant porté par des piliers. Dans les jardins français et anglais ils étaient considérés comme les temples des muses. 


PEAU ou PO : (contraction de Peau Électronique) Interface sensorielle de navigation virtuelle qui recouvre entièrement le corps.

PHASE : Technique de canalisation permettant un contrôle plus ou moins complet de la voix et des mouvements du médium.

VISIOBULLES : Ballon émetteur récepteur audio et vidéo, autonome ou téléguidé.



Les personnages de l'Innerzone.


1. Le cabri. (Bouc)

2. Olympe (Sylphide)

3. L'Ombre (Inanimata)

4. Peau d'encre (Satyre)

5. Félippe (Gnome)

6. Ophélie. (Centaure)

7. Puck (Puka)

8. Joshua (Elfe)

9. L'Oracle (Egregore)

Remerciements :
A Joel Cahen & William Burroughs, sans qui l'Innerzone n'aurait jamais été écrite. A l'origine les bases de ce texte ont été développées pour son théâtre géolocalisé Interzone.
http://newtoyltd.wordpress.com/events/interzone/

A Philip K. Dick, car cette histoire est une recréation du hibou ébloui.
http://ronrecord.com/owl_daylight.htm (in english http://en.wikipedia.org/wiki/The_Owl_in_Daylight)

À Aldous Huxley et son retour dans le meilleur des mondes, cela n'est peut être pas perceptible, mais une des intentions était de développer un vaccin à tous systèmes de contrôle.


A Damaris Baker, qui m'a donné l’énergie et m'a laissé le temps nécessaire à son écriture.


A tous les Enfants qui survivent au génocide de la déviance.



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