Qu'est-ce que le Monde Libre ?
[08/04/08]



"Vos industries de l'information toujours plus obsolètes, voudraient se perpétuer en proposant des lois, en Amérique et ailleurs, qui ont la prétention de confisquer à leur profit jusqu'à la parole elle-même à travers le monde. Ces lois cherchent à transformer les idées en un produit industriel quelconque, sans plus de noblesse qu'un morceau de fonte. Dans notre monde, tout ce que l'esprit humain est capable de créer peut être reproduit et diffusé à l'infini sans que cela ne coûte rien. La transmission globale de la pensée n'a plus besoin de vos usines pour s'accomplir."
Déclaration d'indépendance du cyberspace.
John Perry Barlow. [08/02/1996]

1. Quelques questions en guise d'introduction.

Qu'est-ce que "le monde libre" ?
- Un monde de partage qui s'est construit autour d'un idéal de liberté.

Partager quoi ?
- Partager nos ressources,
tout ce que l'on peut créer.

Pourquoi ?
- Parce que cela coule de source,
de même que l'on n'a pas besoin de payer pour rêver,
de payer nos muses pour être inspirés,
de payer la nature pour ses ressources...

Comment on en vient à rejoindre le monde libre ?
- Simplement, quand une personne à l'occasion d'utiliser des oeuvres sans les payer, si un jour elle se met à créer, alors il y a de fortes chances,
qu'elle partage ensuite librement ses oeuvres.


2. Propriété vs Partage.
Ou la marchandisation face à la libération des oeuvres.


a.Définition des deux mondes antagonistes.

Le monde commercial :
L'ensemble de tout ce qui est régit par les lois du commerce et de la propriété.
Son modèle est la pyramide des hiérarchies permettant l'accumulation des profits et la concentration des pouvoirs.
Son objectif est la concentration des ressources entre le moins de mains possible : hégémonie.
Une devise : Prohibition, compétition, exclusion.
On pourrait également ajouter : exploitation.

Le monde libre :
L'ensemble de tout ce qui est sous l'égide de l'éthique du partage.
Son modèle est l'interconnection des réseaux permettant le partage de la culture,
la dissémination des connaissances.
Son objectif est le partage des ressources entre tous les humains : harmonie.
Une devise : Liberté, égalité, fraternité
On pourrait également ajouter : cogestion.


b. Quelle èthique pour le monde libre ?

Richard Stallman explique l'èthique du monde libre par la devise "Liberté, égalité, fraternité"

Dans le cas du logiciel libre cela correspond à :
- Liberté : les utilisateurs sont libres d'utiliser, partager et modifier les logiciels.
- Egalité : les libertés sont les mêmes pour tous.
- Fraternité : la coopération est encouragée entre les concepteurs.
Les utilisateurs sont encouragés à participer au développement des logiciels et à devenir concepteurs.


3. Un rapide tour du monde libre.

a. Quelques antécédents historiques : Origines et Influences.

Les pirates.

En 1991, Hakim Bey dans son livre sur les Zones d'Autonomie Temporaire : T.A.Z ( partiellement disponible ici ) fait remarquer le rôle précurseur des utopies pirates du XVIII° siècle. Ces premiers modèles alternatifs de société ne sont pas la panacée, mais sont déjà plus équitables que le monde commercial.

Les squats.
A l'origine les squatteurs étaient des pionniers qui s'installaient sur des terres sans posséder de titre de propriété.
Apparus en allemagne dans les années 70, en france dans les 80, les squats artistiques ont permis entre autre la naissance d'un réseau alternatif libre de concerts, d'expositions, etc. Ces réseaux non hierarchisés, basés sur l'autogestion ont préfiguré les sites wiki.

La contre culture.
La notion de contre culture a été popularisée par le sociologue Theodor Roszak avec "The making of Counter Culture" en 1969.
La contre culture regroupe toutes les cultures alternatives développées en réaction à l'hégémonie culturelle.
C'est une culture de libération, de transgression des interdits culturels, que se soit les dogmes des académismes, l'idéologie de la culture de masse, ou tout autre forme de conformisme.
Parmi les nombreux exemples de contre culture, on peut citer la beat generation, William S. Burroughs avec sa technique du cut up qui ne peut être pleinement effective qu'en niant les lois du copyright. Les mouvements d'avant garde comme le dadaïsme, le grand jeu, le surréalisme, fluxus, cobra, les situationnistes, le nouveau roman, etc. qui libèrent la création artistique. Le mouvement hippie aux états unis dans les années 60 et sa contestation du consumérisme et aussi la popularisation de la formule "Do It Yourself" par Jerry Rubin, qui est ensuite devenue la base de la musique industrielle et de la musique punk, car elle permet entre autre de s'affranchir des contraintes financières. Le mouvement cyberpunk et son concept de cyberespace, ayant aboutit à la déclaration d'indépendance du cyberespace.


b. Les différents domaines et leurs acteurs.

Le logiciel libre et les licences copyleft.
En 1985, Richard Stallman a fondé la Free Software Fondation, qui est à l'origine des premières licences libres GNU,
pour permettre une libre utilisation du code source des logiciels.
Un site de référence du logiciel libre : Framasoft

La musique libre.
La musique Plunderphonic avec l'essai éponyme de John Oswald en 1985 à fait apparaitre la necessité de libérer les oeuvres. http://www.synesthesie.com/heterophonies/audiorama/oswald.html
The institut for sonic ponderance fondé en 1994 par Richard Holland et Robert Cozzolino a été le premier à utiliser la technique du droplifting (don à l'étalage) pour distribuer ses disques. http://www.ponderance.org/music/ISP.html
Il existe deux types de musique libre, la musique qui est tombée dans le domaine public et la musique sous licence libre.
Comme pour le logiciel libre, une musique libre peut être librement diffusée et modifiée.
Internet archive a été la première plateforme d'hébergement à fédérer la musique libre.
Deux sites de références de la musique libre Dogmazic et Boxson

La littérature libre.
En 1971, le projet Gutenberg est fondé par Michael Hart, c'est un un projet collaboratif d'archivage des oeuvres tombées dans le domaine public. Il existe des sites plus récents dédiés au domaine public, un autre site collaboratif ebooksgratuits
ou encore le site de la bibliothèque nationale Gallica.
Pour les licences copyleft, il faut attendre 2001, avec la naissance de l'encyclopédie participative Wikipédia,
dont le contenu est sous licence GNU de documentation libre.
La fondation Wikimedia est également à l'origine d'autres projets comme Wiktionnaire et Wikisource qui ont la particularité d'acceuillir aussi bien des oeuvres dans le domaine public que sous licences libres.
Depuis 2005, le site internet in libro veritas diffuse des nouvelles, romans, essais, poèmes ou livres didactiques sous licence libre creative commons.
La bande dessinée est aussi présente, depuis peu, avec le site Webcomics
Il ne faut pas oublier que la culture copyleft à aussi donné naissance à des sites, plus éphémères, de libération d'oeuvres littéraires sous copyright, car celles ci étaient considérées comme trop précieuses pour l'humanité, pour que leur diffusion, puisse être entravée.

Le cinéma libre.
Le cinéma libre en est encore à ses premiers pas. Le premier long métrage libre français date de 2006, il s'agit du bal des innocents produit par Ralamax
Elephant dream, date de la même année, c'est le premier film d'animation entièrement open source : il a été réalisé uniquement avec des logiciels libres et diffusé sous licence libre.


c. Les réseaux libres.

Avant que le réseau internet ne prenne le relais, avec l'apparition des webzines, des netlabels, des webradios, des blogs et des logiciels de peer to peer,
les organes de diffusions du monde libre, étaient les fanzines, les radios libres, les squats. En plus d'accueillir les artistes en marge du monde commercial et de permettre la propagation de l'idée de culture libre, ces réseaux ont développé des cultures à part entière.
De nos jours, il existe beaucoup de webradios qui ne diffusent que de la musique libre,
certaines permettent le téléchargement sans passer par un logiciel de podcast.
Il existe même un logiciel libre de peer to peer ne distribuant que de la musique libre : Irate radio.
Un lien pour se faire un aperçu de la diversité des Netlabels :
http://blog.ecoute-et-telecharge.com/post/2007/10/25/Liste-de-tous-les-netlabels-au-monde-tous-les-styles-tous-les-pays


d. Quelques licences libres.

Une licence est un texte qui définit les conditions d'utilisation, de diffusion et de modification d'une oeuvre.
Pour le simple utilisateur, il faut juste retenir que toutes les licences autorisent la libre diffusion/reproduction, hors usage commercial.
Pour les autres, la diversité rend le choix complexe :
Certaines licences libres, comme la LAL autorisent même l'utilisation commerciale, d'autres ne sont pas complétement libres comme la CC pas de modification. Il y a même la licence C Reaction qui paradoxalement considère qu'il ne devrait pas y avoir besoin de licence,
car mettre une oeuvre sous une licence libre, en quelque sorte, c'est légitimer la vision du monde commercial, qui considère qu'une oeuvre culturelle non protégée est une marchandise commercialisable.

Les licences GNU.
La licence GNU GPL est la principale licence pour les logiciels libres.
Un logiciel sous cette licence peut être utilisé, diffusé et modifié librement.
Il existe une licence GNU LGPL pour des cas particuliers.
Et une licence GNU documentation libre pour les textes.

La Licence Art Libre. (LAL)
Une oeuvre sous licence art libre peut être diffusée et modifiée librement.
En plus de la liberté de diffusion la licence Art libre à pour principal intéret de respecter le principe issu du logiciel libre de liberté de modification de l'oeuvre.
Par contre elle n'interdit pas l'usage commercial.

Les licences Creative Commons. (CC)
Toutes ces licences comportent la clause de paternité, obligatoire en droit français, elle signifie que le nom de l'auteur doit être mentionné.
Parmi les 6 contrats, il n'y en a que 3 qui sont de type non commercial et encore, car cette restriction peut être levée :
- Creative Commons Paternité - Pas d'utilisation commerciale - Partage des conditions initiales à l'identique.
Une oeuvre sous cette licence est librement diffusable et modifiable, hors utilisation commerciale et à condition de conserver la même licence.
C'est la plus intéressante des CC car elle respecte les trois points fondamentaux de l'èthique du monde libre : libre diffusion, libre utilisation, libre modification.
- Creative Commons Paternité - Pas d'utilisation commerciale.
Une oeuvre sous cette licence est librement diffusable et modifiable, hors utilisation commerciale.
- Creative Commons Paternité - Pas d'utilisation commerciale - Pas de modification.
Une oeuvre sous cette licence est librement diffusable, hors utilisation commerciale et à condition de ne pas la modifier.
Cette licence n'est pas stricto sensus une licence libre car les oeuvres ne peuvent pas être modifiées. Critique des CC.

C Reaction. (C)
La licence C Reaction considère que les oeuvres culturelles sont libres de fait.
Elle se présente comme une alternative au domaine publique dont la seule différence est que l'usage commercial est interdit.
Elle a également vocation à diffuser un message d'insoumission au dictat du monde commercial.


e. Les structures.

Les archives libres.
L'archive d'internet a été créée en 1996, c'est une médiathèque numérique libre, elle accueille des oeuvres libres : audio, video, textes, et logiciels. L'archive européenne, qui lui est affiliée, a été créée en 2006 et héberge des oeuvres libres vidéo et audio.
Ses sites sont indispensables, entre autre :
- pour éviter que les oeuvres libres ne soient récupérées par le monde commercial. Exemple, le site Myspace qui propose d'héberger des morceaux "gratuitement", mais qui empoche des revenus publicitaires sur les pages des morceaux.
Ou dans un autre genre, le site Jamendo distribue de la musique libre, mais il est géré par une entreprise, même si 50 % des revenus publicitaires sont désormais redistribués, cela reste faire une exploitation commerciale de la musique libre.
Ou encore les sites qui proposent des logiciels libres, mais dans le but de générer du profit grace aux publicités.
- pour fédérer et donner une meilleure visibilité à la culture libre, car internet est abondament squatté par le monde commercial,
qui ne se gène pas pour utiliser de façon abusive le qualificatif de gratuit ou de libre.
- car étant soutenus par une fondation, ces sites ont en principe une durée de vie plus élevée qu'une simple plateforme de diffusion.

Les associations de type loi 1901.
Une association de type 1901 est la mise en commun de connaisances ou d'activités dans un but autre que de partager des bénéfices.
Ce statut à entre autre pour avantages : la capacité à collecter des dons, un statut fiscal de faveur, la capacité d'obtenir des subventions, ne pas courir le risque de faillite personnel... Le but non lucratif, présent dans les statuts permet de rassurer quant à d'éventuelles récuperations commerciales.
Cependant le détournement des avantages de ce statut s'est banalisé, que ce soit, en basculant sur un statut d'entreprise commerciale une fois qu'elle est parvenue à maturation. Ou en couplant une association à une structure commerciale, même si ce n'est en théorie possible que dans le cas où l'entreprise à une utilité sociale reconnue.

Les fondations.
Une fondation est une personne morale à but non lucratif créée par un ou plusieurs donateurs pour accomplir une œuvre d’intérêt général.
Le modèle français ne semble pas compatible avec une réelle indépendance car le ministre de l'intérieur doit siéger au conseil d'administration.
Le but non lucratif présent dans les statuts des fondations protège la structure d'une dérive commerciale.
Les principales fondations du monde libre sont la Free Software Fondation, l'Electronic Frontier Foundation, l'Internet Archive, la Wikimedia Foundation.