La Schizophrénie : une mutation
[03/11/04]


Ce petit extrait est très représentatif de ce que tu trouveras dans les deux chapitres des clefs pour l'Anti-Psychiatrie.

LA FOLIE, EXPERIENCE POSITIVE

La métanoïa



Pour la première fois dans l'histoire de la psychiatrie occidentale la folie est considérée comme une expérience positive. La psychanalyse elle-même n'avait pas osé s'avancer jusque-là. Tout ce que nous avons rapporté jusqu'ici comme relevant de l'anti-psychiatrie n'est pas fondamentalement original. D'autres chercheurs avaient dit les mêmes choses dans un language différent et ce qui paraît nouveau n'appartient pas en propre à l'anti-psychiatrie. Dans le même temps, aux U.S.A., en France, et peut-être ailleurs, d'autres chercheurs et d'autres thérapeutes ont pressenti sensiblement les mêmes choses. Ce qui est radicalement nouveau, par contre, c'est le respect accordé à la crise psychotique. Pour Laing, ce processus qu'on appelle schizophrénie, ou crise psychotique est "une séquence naturelle, avec un commencement et une fin" (Politique de la famille, p. 67). Il s'agit ordinairement d'une séquence mort-naissance d'où celui qui revient a l'impression de re-naître, de se renouveler, de ré-intégrer le monde. Cette séquence porte le nom de voyage. Ordinairement elle ne dépasse pas le stade initial au sein de la famille ; elle se présente alors le plus souvent sous forme de dépression.
Et toute la psychiatrie jusqu'à nos jours a cherché à arrêter, à scléroser, à figer cette démarche. L'hospitalisation et toutes les thérapeutiques appliquées dans ce cas (lobotomie, électrochoc et chimiothérapie) ont pour but direct et avoué d'arrêter ce processus.

Si on considère que la psychose est une crise dans une structure familliale, le déchirement du voile, l'effort désespéré et maladroit tenté pour sortir de tout le système compliqué des fantasmes, on ne peut que penser qu'il faut protéger cet effort. Il faut permettre au processus de se dérouler normalement, afin qu'au terme du voyage, celui qui a subi cette épreuve, renaisse autre, un autre homme, une autre femme. Pour désigner le changement qui s'opère à ce moment-là, le changement d'esprit, Laing utilise le terme de métanoïa. Ce terme qui figure dans l'Evangile signifie tout à la fois repentir, conversion, transformation spirituelle. C'est encore autre chose que la catharis, ce terme utilisé par Aristote pour désigner la purgation des passions et qui est périodiquement repris par les thérapeutes (la psychanalyse à ses débuts ; le psychodrame avec Moreno). Pour Laing, la métanoïa désigne un remaniement complet : on meurt à soi pour renaître autre. La rennaissance qui est au terme du voyage, est un degré dans l'éveil. En d'autres termes, il s'agit d'une nouvelle totalisation de l'être englobant de nouvelles tranches d'expérience. Mais ce processus, lorsqu'il démarre, est considéré comme une maladie, le début de la schizophrénie, alors qu'il est le commencement de la guérison. Mais tout le monde, y compris le patient lui-même, peut avoir peur de ce processus. On met alors en place un certain nombre de mesures adaptatives ou normatiques pour que rien ne change, pour que tout reste comme avant.



[Extrait de "Clefs pour l'Anti-Psychiatrie" par Chantal Bosseur.]