Lecteur Psychique : Pourquoi vous êtes ici ?


Ed : Je ne sais pas.

Lecteur Psychique : Vous n’avez rien à faire ?

Ed : Je reste assis.

Lecteur Psychique : Tout le temps ?

Ed : Oui, j’ai bien essayé de m’allonger, mais c’est encore pire.

Lecteur Psychique : On attends mieux assis...

Ed : Qu’est-ce que vous dites ?

Lecteur Psychique : On attends mieux assis.

Ed : Oh, au départ, je pensais que j’attendais la mort,

ensuite je me suis cherché d'autres raisons, puis j'ai oublié,

cela fait si longtemps que je ne pense plus vraiment,

je fais semblant.

Lecteur Psychique : Pourquoi vous ne partez pas ?

Ed : Parce que plus je reste longtemps, plus mes enfants sont heureux.

Lecteur Psychique : En gros, c’est un système de vases communiquant :

Vous choisissez le malheur pour faire leur bonheur.

Ed : Oui, et pas n’importe quel malheur, celui là est terrible,

l’attente n’est rien, le pire c’est la séparation.

L’attente à la rigueur, c’est plutôt une façon de somnoler,

un engourdissement dans l’oubli.

J’ai déjà essayé de m’endormir, à chaque fois ils me réveillent.

Lecteur Psychique : Mais si vous n'avez rien à faire...

Vous ne vous êtes jamais demandé si l'on vous faisait quelque chose ?

Ed : Je me suis bien posé la question, mais je n'arrive pas à savoir.

Je suis parvenu à la conclusion que si ils me modifient,

je ne peux pas m'en rendre compte une fois que c'est fait,

alors si c'est progressif, je suppose que je ne peux pas distinguer cela du vieillissement.

Lecteur Psychique : Une dernière question :

Ne serait il pas possible que vos enfants soient des illusions

pour vous maintenir à leur merci ?

Ed : Non. Je ne pense pas.

Ce serait trop...

Quand j'en peux vraiment plus,

je pense plutôt que si vraiment quelque chose d'aussi horrible existait...

Ce serait beaucoup plus simple, ils seraient nos enfants.

Lecteur Psychique : Merci.

 

Saleté de lecteur de pensées.

Ils laissent toujours cette désagréable impression de parler avec notre conscience.

Et quand ils nous quittent on hésite à laisser vagabonder ses pensées,

on se demande si ce n'est pas un tour,

car tout ici frole terriblement le rire spasme de la folie,

le grand rire du roi qui trône dans ses toilettes.

Et comment croire mes réponses polies.

La séparation ?

Mais l'attente sans fin dans ce néant,

est telle,

que je suis obligé de m'inventer des histoires,

pour ne pas sombrer dans la folie.

Des histoires... entre les rires,

entre les larmes,

quand mon visage pisse de souffrance,

parce que je me demande

si ce n'est pas ça la folie.

 

Quand l'homme découvre que son chemin est circulaire.

 

Il radotte des histoires.

 

Un matin, un homme s'assoit sur des toilettes.

 

Le soir, quand il entend le train,

il veut se relever.

 

Il a tellement de fourmis dans ses pieds,

qu'il ne peut rester debout,

et retombe sur son trône.

 

Le train est de plus en plus proche.

[Au desespoir]

L'homme attrape de la merde au fond de la cuvette

et la balance sur le train.

[pour tenter de le stopper]

De plus en plus vite,

jusqu'à l'instant où il arrête un dernier geste pathétique,

quand il croit voir enfin la fin de sa souffrance.

 

Le train s'arrête,

et ses enfants descendent.

 

Histoire après histoire,

dans la marée nausée,

en se demandant si il faut continuer de tenir,

ou essayer de partir ?

 

 

Hé ! Hé! Lecteur psychique ?

Lecteur Psychique : Vous désirez ?

Ed : Je veux vivre.

Je ne me souviens même plus de mon nom,

ou de qui j'étais quand je suis rentré dans cette pièce.

Au départ, je me disais que je resterais pour mes enfants,

juste le temps de leur faire un peu de bonheur

et qu'ensuite je repartirais...

[comme des vacances, avec eux]

Je ne suis jamais ressorti,

en tout cas aujourd'hui je suis incapable de me souvenir,

si je suis ressorti.

 

L'oubli achève de me dévorer.

 

Peut-être qu'à force de te parler, je me suis égaré...

 

Si je parlais à un de ceux du dehors,

il ne me comprendrait sans doute pas.

 

Je crois bien que c'est ça qui se passe,

ils prennent peu à peu ma vie,

pour la remplacer par de l'oubli.

 

Est-ce qu'ils la donnent à mes enfants ?

J'ai bien peur qu'il y ait quelques grands fauves à la curée,

qui une fois repus ne leur abandonnent que ses restes.

 

Je veux vivre.

 

Je veux sortir d'ici.

 

[Lecteur Psychique : Tu as grandi, comme le fruit tu as muri, mais ce n'est pas possible.]

Lecteur Psychique : Ce n'est pas possible.

 

Ed : Pourquoi ?

Lecteur Psychique : Monsieur qui n'a ni nom, ni souvenir...

Monsieur sans passé, au présent qui vacille...

Crois tu avoir un futur ?

Crois tu être un fantôme, un résidu ?

Peut-être que l'oubli n'a laissé de toi qu'une trace, une pensée qui refuse de se taire

et qui répète toujours,

avec sa voix de poupon cassé :

Je veux vivre,

Je veux sortir.

 

Peut-être que l'homme qui découvre que son chemin est circulaire

regarde son point de départ en s'imaginant que c'est l'arrivée ?

 

Mon pauvre si tu sortais.

 

Tu verrais bien,

que tu n'es rien.

 

Tu te perdrais parmi les pensées des vivants.

 

Crois moi, il vaut mieux que tu attendes.

Si tu as envie d'exister, tu rêveras et peu à peu,

le rêve nourrira l'oubli de sa chaire tendre,

alors tu pourras éclore de nouveau.

 

Il n'a pas attendu.

 

Ed : Je n'ai pas attendu.

 

Comme une pensée

hors du néant

s'est échappée.

 

Ephémère ?

 

De l'autre coté a apporté l'oubli.

 

Il s'est mêlé aux pensées des vivants

et il a commencé son repas.

Le festin lent de la pensée humaine

par ce rien qu'on appelle oubli.

 

Chaque chose peut devenir nourriture si l'on sait en extraire l'énergie.

Quand une nourriture abonde, il finit toujours par se développer

une espèce capable de l'assimiler.

 

Croyez vous que les dieux se nourrissent des émotions des hommes ?

 

 

Morne. [Février 2004].