Perséphone
C'est-à-dire double issue.

 

Mémoire de mes morts, trou noir à travers tout
béant sur la mer des vertiges,
redescends en spirale au centre de l'horreur,
creuse-toi pour me recevoir
dans ta bouche la goulue,
vers ton coeur brûlant noir, avec le fleuve tiède
du sang de mes multiples corps, le long des siècles,
fleuve lent s'enroulant en serpent rouge sombre
vers ton gouffre dévorant, la nuit brûlante de ton ventre,
mangeuse sans repos de nos peaux desséchées,
nageuse sans repos dans la mer de nos sangs
mêlés enfin ! Et qu'ils coulent et qu'ils déferlent
et sur l'imprévisible rive au-delà des temps,
au-delà des mondes, qu'ils se dressent,
caillés soudain en un mur plein de bulles,
suintant des eaux d'effroi, larmes d'yeux irisés
qui crèvent et c'est le dernier chant,
leur écoulement qui se fige en statues,
neufs animaux appelant l'âme du feu
derrière les océans de peur,
plus loin que les sanglots sous les dernières voûtes
où le dernier des morts à larges pas sans hâte
marche, et rien ne reste derrière lui :
il va dormir dans la vague immobile,
mais prête pour de nouveaux germes, de nos cris,
de nos sangs solides aux yeux de pétrole.
Une voix s'éternise et meurt de solitude,
une voix se tait.

Et toi, toi qui ne voulait plus renaître,
retourne aux maisons de souffrance,
retourne aux choeurs souterrains sous les dalles,
retourne à la VILLE sans ciel,
refais ton chemin à l'envers.
La matrice qui t'engendra se retourne
et te bave vivant à la face du monde,
larve d'épouvante là-bas, et bientôt
tu vas recommencer à te plaindre du ciel,
de toi-même et de la vie, ta vomissure.

 

René Daumal.

 

 

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" La vie est le jeu de la mort. " Robo Meyrat. [1923]

 

La circulaire du Grand Jeu

Avant propos au premier numéro

Mise au point ou casse-dogme

M. Morphée empoisonneur public

Souvenir déterminant de Daumal

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